DRAGOR

Vous pensez peut-être aller naviguer vers le Danemark, du côté de Copenhague dans ce charmant village de pêcheurs, DragØr. Non, je vous invite à rester dans notre charmante Vallée de la Cisse. Plus précisément dans la commune de Marolles.

Ce Dragor a quelques allures de chimère : ce museau appartient-il à un gentil félin, une lionne ou un dragon de contes et légendes ? Difficile à dire au premier regard. Je l’ai croisé dans la cour de la Maison de la Nature, et cette manière de miauler vers moi, cou tendu, goutte au menton, bien campé sur de solides jambes en fonte, m’a tout de suite interpellée.

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La pompe à eau Dragor. Marolles (41)

Il porte sur son flanc arrondi et blessé par le temps, la marque bosselée de Dragor avec l’inscription Bté S.G.D.G., ce qui signifie : « Breveté sans garantie du gouvernement ». Il ! Je devrais dire « Elle », car j’avais bien sous les yeux une pompe à eau, de celles qui avaient facilité le quotidien de tant de citoyens, femmes et enfants, à partir de 1923. Un joli spécimen de notre patrimoine rural, de ceux qui remplirent sans faillir ce service inestimable qu’est l’approvisionnement en eau.

Elle tient son nom de la société Dragor et Alma, créée au Mans en 1919 par Henri Legou, lequel développera ce nouveau système de pompe à godets, permettant de puiser l’eau dans des puits profonds, jusqu’à 20 mètres, sans danger, nécessitant moins de force que les anciennes pompes à bras. Pendant presque quarante ans, la société équipera de nombreux villages et domaines jusqu’à ce que l’eau soit enfin disponible pour tous à l’intérieur des maisons ; ce n’est pas si vieux, un demi-siècle, cinquante ans, simplement deux générations !

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L’affiche de 1925.

Combien de milliers de litres d’eau cette jolie tête de lionne, en guise de dégorgeoir, a-t-elle portée ? Combien d’enfants ont frôlé son cou tendu tandis qu’elle leur délivrait l’eau potable des repas et du bain hebdomadaire dans le seau suspendu à la tête docile ? Combien ont joué aux billes entre ses pattes solides et protectrices, tandis que les godets montaient, descendaient dans ses entrailles pour leur apporter l’eau fraîche si précieuse ? Combien de vagabonds s’y sont abreuvés ? Combien en ont tourné la manivelle et combien s’en souviennent ? Le temps a passé, la rouille patine son corps meurtri, mais la gueule béante est toujours humide, prête à rendre l’eau sans rendre l’âme.

Il y eut à ma connaissance deux sculptures différentes de tête de lionne. Après recherches, celle-ci me semble dater de 1931 environ, les petites oreilles rases et simples, le museau sans moustaches étant semblables à celles des pompes des villages de Saint-Gondon en Sologne et de Montpezat de Quercy, dont les archives ont gardé la trace des commandes en cette même année.

La société Dragor et Alma disparaîtra dans les années 60, peut-être suite à une expropriation, mais plus certainement parce que notre monde moderne, ultra sophistiqué, avait relégué fontaines et pompes au rayon des contes et légendes !

Isabel da Rocha.

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