Ces gardiennes de l’eau, oubliées au cœur de Paris.

Article de Prescillia Hagnere.

Installée depuis 1872, elle est aujourd’hui reconnue dans le monde entier comme symbole de la France. Aussi appelée « La brasserie des quatre femmes », il s’agit d’une fontaine au style grec qui met en scène quatre cariatides portant un socle orné d’une pointe. Les quatre femmes, allégories de la simplicité, de la bonté, de la sobriété et de la charité, se tournent le dos laissant couler dans l’espace qui les sépare, entouré de ces vertus, le liquide si précieux à la vie. Une mise en scène qui attribue à l’eau un caractère sacré et spirituel.

Avez-vous deviné de quelle fontaine il s’agit ?

Ces fontaines si chères à notre patrimoine, ce sont les fontaines Wallace.

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Les cariatides de la fontaine.
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La fontaine Wallace de la Place Saint-Sulpice.

L’histoire est célèbre, Sir Richard Wallace, un riche héritier originaire de Londres connaît la pénurie d’eau à Paris lors du siège de Paris et de la Commune en 1871. Désireux de pouvoir aider les habitants à subvenir à leur besoin et passionné d’art, il esquisse des croquis de fontaines et demande à Charles August Lebourg de les concevoir dans le but de les offrir à la ville. Construire ces fontaines, c’est assurer un accès à l’eau pour tous et ne plus connaître cette crise à l’avenir. 50 fontaines sont ainsi mises en place. Elles suscitent rapidement un vif engouement et c’est pourquoi la ville décide d’installer 30 nouvelles fontaines.

La distribution de l’eau au sein des foyers apparaît en 1880, grâce au Baron Haussmann et à l’ingénieur géologue Eugène Belgrand qui entreprendra des travaux titanesques de canalisations et de distribution pour alimenter Paris. A la fin du XIXe siècle, les travaux de l’Institut Pasteur et l’essor de la microbiologie garantiront peu à peu l’accès à une eau potable. Le temps que ce progrès s’installe dans tous les foyers, y compris les plus déshérités*, les fontaines Wallace continueront à jouer leur rôle de porteuses d’eau jusqu’à devenir de véritables emblèmes de la capitale française, abreuvant touristes et SDF sans distinction.

En l’an 2 000, « Eaux de Paris », ayant à cœur de favoriser l’accès de l’eau à tous,  organise un concours sur le thème des fontaines d’eau à boire. La société Radi Designers est alors sélectionnée pour concevoir des fontaines en harmonie avec notre temps. C’est ainsi que naissent les fontaines de l’an 2 000 appelées « Les fontaines Millénaire », les « Wallace » du XXIe siècle ! Le clin d’œil aux célèbres fontaines est évident. La Fontaine Millénaire , haute d’1 m 68,  dont « le volume est engendré par une extrusion giratoire reliant deux silhouettes. » nous offre deux visages : le premier nous montre deux femmes statiques de profil dos contre dos, en deux dimensions, offrant l’eau d’une main commune, d’où son surnom de « Porteuses d’eau ».

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Fontaine « Millénaire » ©Radi Designers.

Le second transforme ces figures en abstraction dans un vif mouvement de rotation.

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Fontaine « Millénaire » Photo ©Radi designers.

S’offre à nous des cariatides modernes, issues de notre temps : ces femmes de l’eau ont le regard ailleurs ou le corps en mouvement comme pressé par le temps. elles se mêlent à la foule incessante de Paris en perpétuel mouvement. La femme se divise en deux directions opposées et de quatre femmes, seules deux, voire une, est encore là pour donner de l’eau aux passants. Autrefois déifiées en Vénus gracieuses, elles deviennent de simples figures à demi effacées dont le regard neutre n’attribue plus à ce liquide, indispensable à la vie, un caractère sacré, en raison de sa disponibilité évidente dans notre société. Ici l’eau se répand sur le sol avant de s’écouler à travers une banale grille au lieu d’être récupérée dans un tabernacle comme l’était celle des fontaines Wallace. L’œuvre est à l’image du début de ce millénaire, où le rôle de la femme dans la gestion de l’eau est également peu pris en compte. La fontaine Millénaire ne connait pas le même engouement que les Wallace et elles ne seront réalisées qu’en quatre exemplaires. Témoignage d’un intérêt général pour ce mode de ravitaillement qui s’était amenuisé au fil du temps : bien que 75 % des Parisiens sachent que l’eau des fontaines est potable, provenant du même réseau que celle du robinet, ils sont tout autant à ne jamais boire à ces fontaines. Restent les 25 % qui justifient à eux seuls le maintien et l’entretien de ces fontaines. Pour nombre d’entre eux, par besoin d’hydratation régulière lors de promenades (enfants, personnes âgées…) ou en situation précaire, elles sont vitales !

La Ville de Paris et Eau de Paris persistent dans leur volonté de développer l’accès à l’eau potable pour tous, puisqu’il y a maintenant plus de 1 200 fontaines et points d’eau potable dans la capitale.

En 2010, afin que les Wallace reprennent toute leur place dans le cœur des parisiens et retrouvent leur fonction première d’offrir une eau de qualité, la ville en installe de nouvelles qui se démarquent dans le paysage parisien par leurs couleurs vives ( rouge, jaune, bleu, rose… ). Art et eau se réaffirment dans l’espace public.

Classique et modernité s’harmonisent ainsi dans les rues de Paris à travers la cohabitation des fontaines Wallace et de leurs consœurs de tout styles (Fontaine Poing d’eau, Fontaine Totem, Fontaine Millénaire, Fontaine d’eau pétillante…), alliant technicité, urbanisme et sculpture.

Elles font partie de notre patrimoine urbain et compte parmi les 1 200 fontaines à boire qui ne cessent d’interpeller les promeneurs par leurs styles, leurs couleurs, leurs originalités. Un patrimoine, un temps négligé des parisiens, qui pourtant s’est beaucoup exporté à l’étranger. Ainsi, nous retrouvons aujourd’hui des fontaines Wallace en Chine, Espagne, Canada, USA, Brésil, etc. Dans une période où nous nous interrogeons sur la place de l’eau dans la ville, ces œuvres sont la mémoire de l’universalité de cette ressource à la fois dans le temps mais aussi géographiquement. Ces fontaines artistiques sont des témoignages de notre besoin passé et présent le plus important. Ces édifices participent à la mise en place à la fois de l’art dans la ville, dans le quotidien des habitants et de l’eau, cette source vitale, témoignent « de la difficulté chronique et historique d’alimenter Paris en eau de qualité. »  L’objet artistique devient symboliquement celui qui permet et surtout qui offre la continuité de la vie, de façon gratuite et pour tous au quotidien, dans les rues. Un lien peut donc véritablement se créer entre l’art et l’eau et devenir un véritable atout pour la collectivité. Ces fontaines à boire sont porteuses d’un enjeu vital, esthétique, social, historique et politique.

A la Une : Détail Photo©Roger Viollet. De 1872 à 1952, les fontaines étaient équipées de gobelets en étain retenus par des chaînettes. 

  • En 1930, seules 23 % des communes disposent d’un réseau de distribution d’eau ; en 1945 70 % et il faudra attendre 1980 pour que la totalité des français disposent de l’eau courante au robinet. 

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