Un article de Prescillia Hagnere.
Bruce Mozert, l’auteur de ces photographies réalisées à partir des années 50, nous entraîne dans un monde fantastique au cœur du parc de Silver Springs en Floride.
Bruce Mozert, de son vrai nom Robert Bruce Moser, est né en 1916 dans l’Ohio. Il commence très tôt sa carrière grâce à sa sœur, Zoé Mozert, pin-up reconnue qui lui permet de rencontrer au milieu des années 30, Victor De Palma photographe pour le magazine Life.
En 1938, il prend part au tournage du film « Tarzan » à Silver Springs pour réaliser des photographies promotionnelles. Les sources de Silver Spring sont reconnues pour leur clarté cristalline. Il souhaite faire des shootings sous l’eau mais cela n’est pas possible car le seul dispositif étanche disponible durant le tournage est occupé par le cameraman. Il construit alors un boîtier fait de métal et de plexiglas pour protéger son appareil photographique, un Rolleiflex. Il se fabrique également un casque ayant un tuyau en caoutchouc relié à la surface. Des personnes doivent pomper de l’air pour lui permettre de respirer.
L’équipe du film, dans un premier temps, rit de son invention, mais une fois les clichés dévoilés, la qualité des images force le respect. Bruce Mozert n’est certes pas l’inventeur de la photographie aquatique, mais par cette méthode originale, il a rapidement fait progresser cette forme artistique. Les photos ci-dessous ont été réalisées grâce à ce procédé dans les eaux de Silver Spring et ont permis de faire de ce lieu l’un des plus touristiques en Floride dans les années 50. L’activité principale, à cette époque, en étaient les croisières sur bateau à fond de verre.
Avec beaucoup d’humour et de façon presque naïve, Bruce Mozert invente des mises en scène sous-marines improbables ; il transpose des moments de notre vie terrestre au cœur de ces eaux limpides : pique-nique, cours de under water camera, scène de tir à l’arc, lecture d’un journal, prise d’un bain… Un monde parallèle s’ouvre à nous. Parler de mise en scène est tout à fait approprié ; les protagonistes, qui ne disposent que d’une bouffée d’air pour descendre se placer dans les décors, sont généralement des pins-ups ou des hommes musclés. Il place ainsi dans cet univers fantastique des femmes et hommes dont le corps répond aux canons de l’époque, ces créateurs de rêve qui participent à ce que nous pouvons appeler l’« underwater american dream ». Les visages rayonnants malgré les conditions du shooting contribuent à ce sentiment.
Dans ces univers de science-fiction, Bruce Mozert tente de transporter la réalité de notre gravité terrestre dans l’eau : les protagonistes s’assoient, s’allongent, sont debout, etc.
Toujours dans ce désir de réalisme, Bruce Mozert met en scène avec un soin particulier des effets physiques terrestres qui ne peuvent exister sous l’eau tels que la fumée d’un barbecue, les bulles d’une coupe de champagne, une flèche tirée à l’arc dont la trajectoire semble avoir été contrôlée, etc.
Être dans l’eau, c’est découvrir un sentiment d’apesanteur, de légèreté. Pour certaines photos, cette apesanteur permet de mettre les femmes dans des positions gracieuses, difficiles, voire impossibles sur le sol. Leurs pieds, souvent en pointe, rajoute de la grâce à leur posture, donne à voir une beauté qui semble naturelle dans cette eau. Les cheveux, soumis aux aléas des courants, trahissent le mouvement de l’eau et viennent rajouter une forme de mystère et d’esthétisme à ces personnages sous-marins.
Recherche d’esthétisme et jeu se mêlent au fil de la découverte des clichés. Jouer des contraintes pour faire de cet endroit, le lieu de tout les possibles.
Recherche d’esthétisme par des attitudes plus simples mettant en avant le corps de la femme et sa légèreté, notamment par l’utilisation de tissus fluides et fins.
Bruce Mozert, décédé en 2015 alors âgé de 98 ans, fût pendant plus de 30 ans le photographe officiel de Silver Springs. Pour que ce travail voit le jour, il lui a fallu de façon ludique et créative, dépasser les contraintes ou en jouer pour inventer une nouvelle forme d’expression. L’humour, la poésie et la joie de vivre émanent de ces photographies qui ont fait la couverture de magazines tels que Life, Time et National Geographic.
Sa créativité et ses prouesses techniques ont propulsé sa carrière vers Hollywood et lui ont permis de prendre part notamment au tournage du film Creature from the Black Lagoon. L’actrice principale du film, Ginger Stanley, est par ailleurs l’une de ses modèles favorites pour les shootings aquatiques. Son travail permit aussi à l’actrice Jayne Mansfield de se faire connaître.
Une très belle page de l’histoire de la photographie aquatique, écrite par un artiste renommé en son temps et à redécouvrir.
Crédits photographiques : ©Bruce Mozert.