Naturel ou sauvage, question de vocabulaire !

Discussions de la Chocolaterie #2 !

Fin décembre, le public – principalement composé d’étudiants – fut amené à réfléchir sur les termes « naturel » et « sauvage » lors de la discussion entre l’ingénieur horticole planétaire Gilles Clément et deux enseignants à l’École de la nature et du paysage : Sébastien Bonthoux, écologue, et Sylvain Morin, paysagiste.

GILLES-CLEMENT
Gilles Clément – Source Pro Urba.

Je ne vais pas vous raconter de salades, naturelles ou sauvages : avant cette discussion, je ne connaissais Gilles Clément que par les jardins semi sauvages du Musée du Quai Branly. Donc un petit tour sur son site : http://www.gillesclement.com que je vous recommande. J’ai découvert un homme en mouvement, humaniste politiquement et socialement impliqué, que ce soit à travers son enseignement, ses écrits, son œuvre de paysagiste botaniste… Qui mieux que lui pour nous parler langage et vocabulaire ?  Son œuvre évolue autour de trois axes de recherche : le Jardin en Mouvement, le Jardin Planétaire et le Tiers-Paysage que j’invite votre curiosité à découvrir.

gilles clément_Musee_Quai_Branly
Jardins non occidentaux du Musée du Quai Branly. Copyleft Gilles Clément.

Revenons à notre discussion, pour n’en dévoiler que la trame car je vous engage à l’écouter en podcast sur Studio Zef : avant de définir « naturel » et « sauvage », Gilles Clément et nos deux professeurs donnèrent leur interprétation des limites et ouvertures dans lesquelles ces deux mots peuvent être situés :

Paysage : ce qui se trouve sous l’étendue du regard subjectif, en dépendance à notre héritage culturel.  Pour l’écologue, le paysage est un élément biophysique, hétérogène dont la lecture peut changer en fonction des cultures, de la santé des lieux, etc… Environnement : lecture objective du paysage, milieu ambiant (Ph du sol, qualité de l’air… espéranto scientifique). Jardin : « le territoire initial du brassage planétaire… le premier jardin ayant existé – lorsque le nomade décide de  est le début de l’anthropocène » ; un enclos, privilégié, domaine du rêve, espace privilégié, devenant de fait un lieu d’importation, de brassage et de mélange…

A partir de là, qu’est-ce que le naturel ? Pour Gilles Clément : ce dont on ne s’occupe pas et qui n’inquiète pas. Un jardin d’orties, une friche réinvestie par le vivant qui prime sur la forme, un nouvel écosystème primaire sur des zones abandonnées, des groupes d’espèces indigènes installées ou importées comme la bruyère dans les landes… Et le sauvage ?  Ce dont on ne s’occupe pas et inquiète ! Par le « on », il faut bien entendu entendre « l’être humain ».

Une discussion passionnante et pleine d’optimisme malgré les difficultés de notre monde moderne, où il fut question, passionnément, de brassage planétaire, d’inversion du paysage, de méthodes de transformation, d’une biodiversité qui sait s’adapter et renaître au fil du temps.

gilles clément_bâteau forêt_2
Carcasse de bateau échoué dans lequel une forêt de type primaire s’est installée.  Naturel ou sauvage ?

A la suite de cette discussion qui interpelle sur ces mots que nous utilisons couramment, j’ai consulté mon meilleur ami et conseiller depuis la prime enfance, M. Dictionnaire, pour voir les définitions premières : « Naturel : Qui est dans, appartient à la nature ; qui n’est pas le produit d’une pratique humaine. » « Sauvage : Conforme à l’état de nature, qui n’a pas subi l’action de l’homme. » Nous voilà avec deux mots presque synonymes ! Je dis bien presque, car l’homme se plaît à complexifier les choses, et bien évidemment son langage, en mettant en opposition la nature et la civilisation humaine. Ainsi le mot « sauvage » va se charger des notions de barbarie, cruauté, violence, ignorance… stigmatisant à la fois la nature et l’homme « primaires. »

Il me semble évident que, pour chacun, l’interprétation sera différente, subjective, ce qui inquiète étant ce que l’on ne peut maîtriser, et surtout ce qui menace… Ce sera l’araignée pour l’arachnophobe, le serpent pour l’ophiophobe, le loup pour l’éleveur de brebis, la forêt pour l’urbain… correspondant à des peurs ou des rejets irrationnels inscrits dans notre inconscient collectif. Le sauvage dans notre monde moderne, ultra consumériste et urbanisé, désigne souvent une nature envahissante et à combattre, comme les mauvaises herbes pourtant si utiles, les petits nuisibles qui sont cependant les auxiliaires et les garants d’une biodiversité équilibrée, etc…

Ah l’ignorance ! La seule, celle de nos origines, celle de notre terre que l’humanité dominante pense connaître, maîtriser, donc réduire en esclavage. Aussi cette discussion m’a renforcée dans l’idée que le seul sauvage – au sens secondaire du terme et au XXIe siècle – est un être humain ! Un mammifère sur deux pattes – pardon si j’en choque certains – membre à part entière de la nature, qui trop concentré sur lui-même, ne peut modifier sa nature profonde de prédateur ; il a oublié qu’il est une partie de cette même nature, il a oublié l’instinct naturel qui nous relie à notre terre et le pouvoir de communication entre tous les êtres vivants. Vous noterez que je ne mets pas tout le monde dans le même panier : je dis un être et non l’être… Je me garderais bien de généraliser, car il y a des êtres humains, comme Gilles Clément, en symbiose avec la nature dans tous ces états, humanistes et écologues résistants.

Pour exemple, ce Jardin d’orties de Melle, installé pour la Biennale d’art contemporain de 2007.  Ce jardin fut créé dans le cadre d’un mouvement de résistance à une loi de 2006 interdisant l’usage de produits non homologués, confisquant le bien commun , et offrant le brevetage abusif du vivant et la marchandisation de celui-ci aux seules multinationales capables de s’offrir une homologation coûteuse. Le purin d’orties fait partie de ces pratiques ancestrales ayant fait leur preuve, appartenant à tous et facile à mettre en œuvre.

GILLES-CLEMENT_jardin d'orties
Le jardin d’eau et d’orties de Melle. Copyleft Gilles Clément.
GILLES-CLEMENT_jardin d'orties 2
Filtrage du purin d’orties. Copyleft Gilles Clément.

Il faut rendre honneur aussi à tous ces mouvements solidaires émergeant un peu partout dans le monde, la réappropriation d’espaces abandonnés et transformés en jardins potagers et populaires, ce retour amorcé de l’urbain vers les campagnes, à la redécouverte de notre Nature, ainsi que le rejet naissant mais naturel de la bétonisation des surfaces agricoles, acte sauvage par excellence !