Performance au long cours d’Ojars Feldbergs. 26 mai 2018 du Festival H²O. En célébration du centenaire de l’indépendance de la Lettonie et de l’amitié des peuples et de la nature.
I – « Les pierres poussent… »
Il est assez commun, en zone rurale, d’entendre un paysan dire que « les pierres poussent… » et de voir, aux abords des champs, d’énormes tas de cailloux. En effet, chaque année, les pierres semblent remonter au-dessus du sol* et le paysan doit nettoyer champs et pâturages pour préserver cultures et animaux.
L’image est belle et a séduit l’artiste letton Ojars Feldbergs, fondateur du « Pedvale Open Air Museum » et passionné de nature et d’environnement. Il en a fait l’un des symboles de sa démarche artistique et s’est mis à parcourir le monde pour semer des pierres lettones, comme l’on sème une bonne graine, apportant ainsi sa pierre à l’édifice d’une humanité responsable.
J’en suis témoin, moi, petite pierre choisie par la main d’Ojars dans l’un de ces champs lettons, alors que j’émergeais à peine au soleil !
Je fus baptisée, bénite, enfin je passais de mains en mains pour recueillir les vœux du peuple letton pour une terre lointaine, nommée la France.
II – Voyage.
Je quittais ma terre balte. Ojars m’emmena pour un long voyage jusqu’à ce fleuve sauvage nommée la Loire, où nous embarquâmes pour découvrir ma nouvelle contrée.
Moi, la petite pierre dure et rousse, je tenais au creux de sa main, l’âme tranquille et curieuse ; il me présenta à la rivière Cisse, aux villages nichés dans cette vallée que je découvrais belle, à chaque chemin creux lors de longues ballades, à chaque passant ami ou anonyme, aux oiseaux, aux libellules bleues et noires des zones humides… à cette terre lourde à laquelle j’allais appartenir… et enfin, au grand Léonard de Vinci ! Et c’est là, au pied du château d’Amboise, que commença ma dernière aventure d’un après-midi de mai, sous un soleil insolent. J’en frissonne encore.
III – Moncontour
Une toue – vous savez, ce bateau si caractéristique à fond plat et à voile qu’utilisaient les marins de la Loire – nous attendait. Que dire, sinon, qu’après une heure de navigation sur ce fleuve, bercés par Upesmat**, nous arrivâmes à la confluence de la Loire et de la Cisse, à la ligne de séparation des eaux et à la pointe d’une presqu’île privée et sauvage, la bien nommée Moncontour. Là nous attendait une assemblée de musiciennes et de randonneurs pour nous emmener par un chemin d’herbes folles, bordé d’arbres vénérables, vers la clairière – Ma clairière !




Sous le regard bienveillant des « Esprits de terre et d’eau », émergeant des arbres par la seule volonté de l’artiste Liska Llorca, une cérémonie toute druidique commença : je quittais la main d’Ojars pour, de nouveau, passer de paumes en paumes, recueillir les vœux de paix et de renouveau de mon peuple d’adoption. Ainsi fut fait et enfin, je reposais au cœur de ma nouvelle terre.



Sans aucun doute, cela plût-il aux dieux, car à l’instant même où l’artiste me déposait dans ma nouvelle demeure, Perkons** se fit entendre et voir. Il tonna, venta tant et plus, se jouant de Saule**, distribuant sans compter à tous les êtres présents, joie et force de vie ! Je m’endormais avec la vision des sourires, des rires, des mains tendues, des corps qui se libèrent, du feu de joie sur mon lit, de l’odeur des feuilles de cyprès dans les flammes et du bruit de l’eau sur les dernières cendres.

« Paix et prospérité aux êtres de bonne volonté, unis dans le même respect de la Nature. » The latvian stone.
Merci à notre hôte Christian Feray, propriétaire de la presqu’île et du château de Moncontour – dont nous avons savouré les vins après cette performance.
* En fait, c’est l’érosion de la terre qui fait réapparaître les pierres.
** Dieux lettons : Upesmat, mère des rivières – Perkons, Dieu du tonnerre – Saule, Dieu du soleil.