– Depuis deux ans, nous les châteaux dits d’eau, bien installés dans notre vallée de la Cisse, avons la tête qui tourne, ensoleillée de couleurs, de vibrations créatives, d’attentions amoureuses… enfin ce qui, pour nous, y ressemble. Jusqu’à présent, hormis les techniciens de l’eau chargés de notre bien-être à tous, personne ne prêtait attention à nous, et nous restions droits, humbles et solitaires, au milieu de vos campagnes, fiers aussi de la mission accomplie… Mais que se passe-t-il ? Pourquoi tout à coup tant de visiteurs, de curiosités et d’amabilité ? Depuis qu’un humain un peu fou est venu se suspendre à notre acrotère, puis caresser étrangement notre peau étanche et lumineuse, votre regard a changé, tant sur nous que sur notre environnement. Votre regard s’est fait plus intense, compréhensif, à la recherche d’un dialogue. Nous n’allons pas nous en plaindre… Que s’est-il donc passé ?
Mes beaux châteaux d’eau, tout simplement, une saison s’est passé, puis deux… bientôt trois.
Lorsque que j’écrivais le premier chapitre de Châteaux d’eau en Cisse pour le bulletin n° 25, je n’osais en parler, mais j’espérais que cette histoire se transforme en saison, au même titre qu’un beau roman sur fond d’écologie vivante. Et le rêve, mûri depuis plusieurs années avec l’association Artecisse, devint réalité. Ainsi la première fresque XXL en vallée de la Cisse vit le jour… en juin 2018.
Ce ne fut pas simple bien sûr ; il fallut bien des réunions entre notre association, les collectivités et les syndicats d’eau. Il fallut « montrer patte blanche », prouver notre sérieux, notre professionnalisme, convaincre de la portée pédagogique et patrimonial du projet, établir des budgets et cela est bien normal. Mes beaux châteaux d’eau, humbles vous êtes, et pourtant… Vous êtes le centre névralgique de notre santé, vous en êtes les garants, en préservant dans votre cœur cette eau si précieuse, et en nous la distribuant quotidiennement, sans jamais faillir. Donc, tout fut mis en place pour vous préserver, ainsi que la sécurité de tous.
– Comment cela ? Ne sommes-nous pas de véritables forteresses ?
Bien sûr, vous êtes des castella, nous n’en doutons pas. Cependant, la prudence est mère de toutes les vertus, n’est-ce pas ? Donc, hop ! Une formation de travail en hauteur pour tous les artistes ! Et puis, pour qu’ils se surpassent, des peintures de haute performance, acryliques et siloxanes en phase aqueuse, un peu épaisses mais souples, qu’ils travaillent à la brosse, au pinceau et à la perche.
– À la perche ? C’était donc une performance de saut en hauteur ?
À y bien réfléchir, il y a un peu de cela ! Surtout avec toi, le château d’eau d’Averdon, car, pour des raisons techniques qui seraient trop longues à expliquer ici, la nacelle volante nous fut imposée. Ce fut un défi de haute voltige que le street-artiste portugais Pantonio releva avec brio. Il affronta aussi les vents, la tempête et la pluie, pour finalement passer entre les gouttes.
– C’était donc lui l’homme volant qui me chatouillait la colonne d’eau ?
Oui ! Pantonio ! L’artiste qui réalisa la plus haute façade d’Europe, à Paris dans le XIIIe. Très engagé pour la défense de l’environnement, il s’est inspiré des libellules bleues, les demoiselles, symboles des zones humides de notre belle vallée.
– Les demoiselles bleues du marais d’Averdon, à quelques centaines de mètres, qui furent inaugurer le même jour que moi ! Je les vois tourner autour de moi.
Oui, mon beau château d’eau, et c’est ainsi, grâce à l’art vivant, que tu es devenu patrimoine paysager en fin de saison 1 !
– Et la Saison 2, comment a-t-elle commencé ?
À la demande du maire de Coulanges, Henri Burnham, président de Vallée de la Cisse, et passionné de patrimoine. Mais pour toi, mon beau château d’eau de La Richerie, l’histoire a commencé bien avant… il y a dix ans. Laisse-moi te raconter.
Une fin d’après-midi, je roulais tranquillement fenêtres ouvertes vers Onzain, Strauss m’accompagnant joyeusement. À l’orée du château de Varennes, je vis sortir du bois un couple de jeunes chevreuils, je ralentis, m’arrêtais pour les laisser traverser. Ils se figèrent alors au milieu de la chaussée, oreilles aux aguets, intrigués, puis l’un d’eux se mit à danser sur place, face à moi, l’autre suivit. Ils m’offrirent alors un ballet des plus gracieux, cabriolant sur leurs pattes fines, flic-flac, fondu, pas de deux, inventifs en une valse réinventée, pour finalement franchir le fossé en un grand entrechat, gambillant joyeusement, puis revenant vers la musique… Combien de temps cela dura-t‑il ? Cinq ou dix, ou vingt minutes, je ne sais… Le temps, sous le charme, s’était mis en pause. Puis ils s’éloignèrent lentement, se retournant, dansant vers La Richerie, vers toi illuminé par la belle lumière du soir. Je suis allée me poser à ton pied, et là en observant la couleur ensoleillée de ton fût, j’ai su que je resterais dans cette belle vallée.
– Mais tu parles de mes fidèles amis. Ils viennent me visiter matin et soir, vivant dans les bois voisins ; nous avons de longues conversations, eux et moi, sur le paysage vu d’en haut ou d’en bas. à chacun son point de vue…
Et quel point de vue ! D’en bas, tes compagnons ont encouragé chaque jour l’intrépide artiste Liska Llorca affrontant, à bord d’une nacelle automotrice, tes parois de 30 mètres de hauteur. D’en haut, le panorama inspira à notre artiste une histoire de la terre en accéléré : des ammonites, fossiles omniprésents dans le sous-sol de notre vallée de la Cisse, jaillit l’eau d’où s’échappe la vie sous forme d’une multitude de papillons, des espèces en danger de disparition, bien que patrimoine naturel.

– Mais comment l’eau peut-elle jaillir d’une ammonite ? Nous, les châteaux d’eau, nous la puisons dans les nappes phréatiques, les rivières, les fleuves…
L’ammonite est le symbole de la vie souterraine où séjourne l’eau, mais cette source jaillit aussi sous le sabot du cheval ailé Pégase, créateur de sources et porteurs d’éclair. Liska te l’a offert pour qu’il te protège et que jamais ta source ne tarisse ! Et, il y a quelques semaines, elle en a créé une armée sur la cuve ta voisine, afin que La Richerie vive.
– Et tous ces papillons virevoltants qui me tiennent compagnie ?
Ils sont symboles de métamorphose et de re-naissance, celle d’un monde en pleine mutation, qui prend conscience de la fragilité des écosystèmes, de nos patrimoines et de la nécessité de les sauvegarder. Un bel effet papillon, de quoi conter aux enfants et aux adultes…
– Donc de castella, nous devenons museum… de plein air.
En quelque sorte… mais toi et tes seize mille camarades étiez patrimoine paysager depuis votre conception ! Parfois il faut simplement du temps aux êtres humains pour comprendre la portée de toute création…
– Cisse fois Merci à Pantonio, puis à Liska Llorca de nous avoir fait vivre toutes ces joyeuses aventures, de nous animer et ré-animer pour être ré-aimer ! Merci aux syndicats d’eaux et à nos mairies de l’avoir permis. Et quel artiste ensuite pour la saison 3 ?
Chut ! Artecisse garde bien le secret… Vous le découvrirez en 2021.
Texte et photos©Isabel da Rocha. Texte édité dans Vallée de la Cisse N°26. 2020


